Réforme du CIR : décryptage des évolutions à prévoir
Tous les ans, à l’heure du projet de loi de Finances, des voix s’élèvent pour réformer le Crédit d’Impôt Recherche (CIR). Trop coûteux, pas assez ciblé, bénéficiant trop aux grandes entreprises, les critiques sont légion et les velléités de réforme du CIR reviennent inlassablement. Démêlons le pourquoi du comment, et les évolutions probables de ce dispositif phare du soutien public à la recherche et l’innovation.
Sommaire
I. Le Crédit d’Impôt Recherche, entre évolution et pérennisation
- En 1983, la création d’un nouveau dispositif pour financer la recherche.
- Une pérennisation du dispositif et des réformes pour le rendre plus attrayant
II. Pourquoi réformer le CIR ?
- Un énorme coût pour les finances publiques et des résultats inégaux
- Un dispositif miné par les effets d’aubaine
- Un dispositif ouvert à toutes les dépenses de recherche, y compris brunes
III. À quoi s’attendre pour 2025
- La réglementation européenne, un frein à certaines réformes
- Plus que des chiffres, l’impact de l’image renvoyée
- Mais la nécessité d’optimiser la dépense publique
Le Crédit d’Impôt Recherche, entre évolution et pérennisation
En 1983, la création d’un nouveau dispositif pour financer la recherche
Le Crédit d’Impôt Recherche (ou CIR) a été institué en 1983 par la loi de finances de la même année. À cette époque, la France est largement en retard par rapport aux autres pays concernant le financement public de la recherche. Le gouvernement met alors en place un dispositif fiscal provisoire permettant de financer l’accroissement des dépenses de R&D des entreprises industrielles et commerciales. L’objectif est clair : aider les entreprises à innover et à investir en créant une niche fiscale récompensant les entreprises développant leurs centres de recherche et développement en France.
Dans les faits, l’État finance via un crédit d’impôt (c'est-à-dire une réduction ou un remboursement dans le cas où l’entreprise n’est pas soumise à l’impôt sur les sociétés) une part des dépenses de recherche sur la base d’une justification des dépenses engagées. Le texte originel prévoyait ainsi un crédit d’impôt équivalent à 25% de l’accroissement des dépenses de R&D.
Une pérennisation du dispositif et des réformes pour le rendre plus attrayant
Après de nombreuses réformes pour rendre le CIR plus incitatif et maximiser son impact, l’État finance aujourd’hui 30% des dépenses de R&D jusqu’à 100 millions d’euros de dépenses, et applique un taux réduit de 5% au-delà. Depuis la réforme de 2008 modifiant le calcul des dépenses prises en compte (de l’accroissement des dépenses jusqu’au volume de dépenses), le montant total d’investissement public n’a cessé de croître pour atteindre 7,4 milliards d’euros en 2022.
Cependant, la France reste en retard par rapport à la Stratégie de Lisbonne, qui prévoyait que les pays accordent un soutien public égal à 3% du PIB. Ainsi, loin derrière l’Allemagne (3,1%) et le Japon (3,3%), la France stagne depuis plusieurs années autour de 2,3%, malgré le dispositif le plus avantageux d’aides à la recherche parmi tous les pays de l’OCDE.
Pourquoi réformer le CIR ?
Un énorme coût pour les finances publiques et des résultats inégaux
Ce coût de plus de 7 milliards d’euros pour les finances publiques est l’une des principales critiques attribuées à la première niche fiscale de France. En outre, les rapports d’évaluation du CIR montrent que si, en proportion, il bénéficie d’abord aux petites et moyennes entreprises (84,5% des bénéficiaires en 2021), ce sont les grandes entreprises qui en captent le plus gros montant (42% du montant total en 2021).
Selon ses détracteurs, le crédit d’impôt recherche actuel, principalement censé stimuler la R&D au sein des entreprises, ne montre ainsi pas son plein potentiel d’impact. Les travaux réalisés par les économistes Philippe Aghion, Nicolas Chanut et Xavier Jaravel (tous trois professeurs d’économie à la London School of Economics) pour le Conseil d’Analyse Économique (2022) ont montré que le CIR produit deux fois plus d’effets lorsqu’il profite aux très petites, petites et moyennes entreprises que lorsqu’il profite aux entreprises de taille intermédiaire et aux grandes entreprises.
Plus précisément, alors que 1€ de subvention publique via le CIR entraînerait un investissement privé de 1,40€ des entreprises de moins de 50 salariés (appelé en économie effet d’entrainement), cela se réduit à 1€ pour les entreprises jusqu’à 250 salariés (effet d’addition) et même à 0,40€ pour les grandes entreprises (effet de substitution)
Un dispositif miné par les effets d’aubaine
Cette critique faite sur l’inefficacité du CIR se rapproche de la seconde critique faite au CIR et abordée dans les chiffres juste au-dessus : l’effet d’aubaine. Dans le cas du crédit d’impôt recherche, il se matérialise par une dépense de R&D subventionnée qui aurait été réalisée même sans appui public. Selon les chiffres publiés par l’administration, si seule une vingtaine d’entreprises (toutes des grandes entreprises) atteignent le taux réduit de 5% au-delà de 100 M€, cela représenterait tout de même un coût de 400 M€ pour les finances publiques.
Comme le soulignent Philippe Aghion, Nicolas Chanut et Xavier Jaravel, “On peut raisonnablement estimer que, même sans CIR, ces entreprises auraient de toute façon dépensé au moins 100 millions d’euros en R&D”.
Même son de cloche dans le rapport d’information parlementaire réalisé en 2021 par Laurent Saint-Martin, Christine Pirès-Beaune et Francis Chouat, selon qui “ces entreprises, dont la compétitivité au niveau mondial est très dépendante de leur capacité à innover, auraient probablement réalisé ces dépenses sans incitation fiscale.”
Un dispositif ouvert à toutes les dépenses de recherche, y compris brunes
Enfin, les critiques se portent sur la possibilité que le CIR serve à financer des dépenses de R&D nocives à l’environnement. L’éligibilité au CIR se fait seulement sur la base de dépenses de recherche, sans regard du sujet. Par exemple, si une entreprise engage des recherches sur les applications d’une énergie fossile, elles seront tout aussi éligibles au CIR que des recherches concernant les énergies renouvelables. C’est en ce sens que plusieurs amendements ont été déposés dans le Projet de Loi de Finances 2024, notamment l’amendement N° I-2182 du député socialiste et apparentés Dominique Potier.
À quoi s’attendre pour 2025 ?
La réglementation européenne, un frein à certaines réformes
Pour autant, un verdissement du CIR apparaît difficile à mettre en place. Aux yeux de la Commission Européenne, si un dispositif fiscal devient sélectif (et un verdissement du CIR serait une sélection), il devient une aide d’État et non plus un dispositif fiscal. Le crédit d’impôt recherche deviendrait donc fortement réglementé et s’ajouterait aux autres dispositifs existants comme les appels à projets, limitant fortement son champ d’application et sa force d’aide aux entreprises. De manière plus pratique et opérationnelle, verdir le CIR signifierait pouvoir déterminer “ce qui est vert” et ce qui ne l’est pas, chose impossible à établir pour l’ensemble des secteurs concernés par le CIR.
Plus que des chiffres, l’impact de l’image renvoyée
Le principal obstacle d’une réforme du CIR serait, plus qu’une question d’économies réalisées, une question d’image renvoyée aux investisseurs. La politique pro-business menée depuis 2017 a donné à la France une image positive auprès des investisseurs, faisant du pays le plus attractif pour la quatrième année consécutive. Réformer, même à la marge, l’emblème de la politique d’investissements en faveur de l’innovation représenterait un signal faible très négatif, d’autant plus que le CIR est cité comme l’une des principales raisons de l’attractivité de la France aux yeux des investisseurs étrangers.
C’est la position du rapporteur général de la commission des finances, le député Renaissance Jean-René Cazeneuve, pour qui modifier le CIR reviendrait à “un très mauvais signal” envoyé, représentant “un effet très négatif sur l’attractivité de notre pays pour les chercheurs.“
Mais la nécessité d’optimiser la dépense publique
Mais avec la nécessité de trouver 12 milliards d’euros d’économies dans le budget 2025, une réforme du crédit d’impôt recherche est à envisager. Les pistes les plus régulièrement abordées semblent être un abaissement du plafond de 100 M€ à 20 M€ de dépenses, la fin du doublement de CIR pour les jeunes docteurs ou encore un taux différencié selon la taille de l’entreprise. Lors des discussions sur le Projet de Loi de Finances 2024, plusieurs amendements ont déjà cherché à impacter le CIR.
Que ce soit le verdissement du CIR avec l’exemple mentionnée plus haut, ou l’amendement du député centriste Charles de Courson (LIOT) visant à créer un taux de financement intermédiaire de 15% entre 50 M€ et 100 M€ (adopté en commission des finances, puis retiré dans le texte adopté via l’article 49.3), les idées politiques pour réformer le crédit d’impôt recherche sont bien présentes dans les débats à l’Assemblée Nationale.
Chez les économistes, les recommandations sont a minima une suppression du taux réduit de 5% au-delà de 100 M€ pour augmenter le taux de financement des TPE/PME à 35%, ou de manière plus ambitieuse la réduction du plafond de dépenses de 100 M€ à 20 M€ et la suppression du taux réduit à 5% visant à augmenter le taux de subvention de l’ensemble des bénéficiaires de 30 à 42%. En fin de compte, l’idée ne sera pas de réaliser des économies aux dépens des entreprises, mais de rendre le CIR plus efficace et efficient en limitant au maximum les effets d’aubaine et en concentrant le dispositif sur les secteurs dans lesquels son impact est le plus grand.
Sources :
- MESR-DGRI, Le CIR en 2021 (données provisoires), août 2023
- Laurent Saint-Martin, Francis Chouat et Christine Pirès-Beaune. Rapport d’information de la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, Rapport d'information n°4402 - Volume 2, XVe législature, Déposé le 21 juillet 2021
- Assemblée nationale. Compte rendu de réunion n° 10 - Commission des Finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire – session 2023 – 2024 – 16ᵉ législature – Assemblée nationale. Assemblée nationale.